La Verte Fabienne Fischer et la PLR Anne Hiltpold croisent le fer sur le rôle de l’État.
Conseillère administrative à Carouge, la candidate au Conseil d’État PLR Anne Hiltpold entend soutenir l’économie via des baisses d’impôt. L’État a besoin de moyens, conteste la Verte Fabienne Fischer, qui pilote ce dicastère ainsi que l’Emploi depuis deux ans.
Entretien croisé.
Vous souhaitez toutes deux défendre les PME. Comment?
Fabienne Fischer (FF): Mon programme repose sur trois actions: les aider à prendre le virage de la durabilité pour rester compétitives: 66 millions d’investissement sont prévus à cet effet; renforcer leur sécurité et leur responsabilité numérique via des formations spécifiques, et soutenir les enseignes et commerces locaux.
Anne Hiltpold (AH): Il faut baisser la fiscalité qui frappe l’outil de travail de l’entrepreneur. Cette fiscalité, la plus élevée de Suisse, nuit aux investissements. Il faut aussi simplifier les démarches. Les entreprises n’ont pas attendu l’État pour prendre le virage de la durabilité et ces aides financières ne sont pas la priorité. Elles ont surtout besoin de ne pas être entravées et de ne pas payer trop d’impôts.
Anne Hiltpold, Vous avez déclaré que les rentrées fiscales exceptionnelles devaient être consacrées à la réduction de la dette. Est-ce conciliable avec une baisse d’impôt?
AH: Oui, et c’est ce qui a été fait par le Canton en 2022 après la RFFA. Cette réforme a démontré que la baisse de l’imposition pouvait déboucher sur une augmentation des recettes fiscales, alors que la gauche ne songe qu’à augmenter les impôts, comme le démontrent ses initiatives.
FF: Les baisses d’impôts sont un miroir aux alouettes: 60% des PME n’en paient pas. Quant à la baisse d’impôt linéaire de 5% sur les personnes physiques que propose votre alliance de bric et de broc, elle profite surtout aux très riches. Je me bats pour l’économie réelle. Les entreprises ont besoin de conditions-cadres favorables: des loyers corrects, des employés formés… Pour cela, l’État a besoin de moyens financiers.
AH: Même si les entreprises ne paient pas d’impôt sur le bénéfice, elles en paient sur le capital, et n’oublions pas qu’elles créent des emplois.
Fabienne Fischer, vous multipliez les discours sur les PME. Mais les associations patronales soutiennent vos concurrents de droite.
FF: Les associations faîtières, dirigées par des PLR, prennent des postures idéologiques durant les élections. Mais sur le terrain nous travaillons bien ensemble, comme le démontre le vote très large au Grand Conseil des suspensions immédiates d’entreprises en cas de travail au noir sur des chantiers. C’est un moyen de préserver le salaire et les conditions de travail des employés et de garantir la concurrence loyale entre entreprises. C’est aussi pour cela que je défends le salaire minimum.
AH: Le partenariat social n’est pas nouveau à Genève, il n’a pas attendu Mme Fischer, et il est important pour les entreprises.
Madame Fischer, les entreprises comptent sur le développement pour leur assurer un avenir. Or les Verts veulent brider l’aéroport, limiter la mobilité motorisée en ville et dénoncent le commerce international.
FF: La plupart des domaines que vous évoquez ne relèvent pas de mon action. Depuis deux ans, j’ai réorienté la promotion économique. Au lieu de chercher des entreprises aux quatre coins du monde, il faut renforcer notre tissu économique local, mettre en place des circuits courts entre entreprises de la région, viser le zéro émission carbone. Tout cela créera de très nombreux emplois. En effet, côté climat, on va dans le mur. Tous nos efforts sont gommés par les excès d’autres secteurs, par exemple le trafic aérien.
Madame Hiltpold, le discours sur la limitation de la croissance a aussi de nombreux sympathisants à droite. Il est porté par l’UDC et le MCG. Êtes-vous dans leur camp?
AH: Genève n’est pas extensible, mais freiner la croissance et l’immigration n’est pas une solution. Nous devons nous montrer créatifs et assouplir les règles qui n’ont cessé de se durcir et qui, par exemple, limitent la transformation de bureaux en appartements. Nous devons travailler sur le relogement des personnes âgées dans des appartements mieux adaptés, sur les logements modulaires et les constructions en hauteur.
Visiblement l’Instruction publique vous intéresse. L’OMP est en crise, la Protection des mineurs est très critiquée… et pourtant votre priorité est de faire commencer l’école à 3 ans.
AH: Je ne l’ai jamais présenté comme une priorité. C’est une proposition, comme la réforme horaire pour répondre aux besoins des parents, mais il y a en effet d’autres chantiers prioritaires, dont la réforme du Cycle d’orientation.
Fabienne Fischer, le syndicat SIT vous reproche d’avoir été trop complaisante avec Uber, les chauffeurs ayant reçu des indemnités jugées dérisoires, en moyenne un peu plus de 2000 francs par année prise en compte.
FF: Uber a payé 35 millions pour sa mise en conformité pour le passé, dont près de 5 millions directement aux chauffeurs. Des centaines d’entre eux ont reçu plus de 10’000 francs. Le syndicat confond la compétence de l’État – contrôler le respect du droit – avec son souhait honorable d’obtenir davantage. Quant à la régularisation de la situation présente, elle est en cours et vise justement une protection plus large des horaires ou des salaires.
Anne Hiltpold, la droite bourgeoise s’est unie à l’UDC et au MCG. Une force antieuropéenne et une qui vote les mécanismes salariaux. Craignez-vous de devenir leur otage?
AH: Non. Ici nous parlons de politique cantonale. Le but est d’avoir une majorité allant du centre à la droite, qui n’est pas de bric et de broc, afin qu’elle corresponde à celle au Grand Conseil. Nous avons nos différences, mais sommes d’accord sur la plupart des sujets.
Madame Fischer, la gauche revendique la majorité gouvernementale alors que la droite est majoritaire comme jamais au Grand Conseil. Quel est votre calcul?
FF: C’est ce qu’a voulu le peuple au premier tour! Ce ne serait pas très différent de la situation actuelle, qui ne nous a pas empêchés de fonctionner.
Questions de lecteurs
Anne Hiltpold, comment financer l’école à 3 ans alors que les budgets pour l’école primaire sont régulièrement refusés? Et où mettra-t-on ces classes supplémentaires alors que les bâtiments scolaires sont déjà souvent pleins?
AH: Les postes pour l’école ont toujours été votés via des crédits complémentaires lorsque le budget était refusé. Alors, oui, cette proposition a un certain coût – entre 40 et 86 millions ont été évoqués –, mais l’investissement vaut la peine alors que la Suisse est un des pays de l’OCDE qui investit le moins de son PIB dans la politique familiale. Quant aux locaux, ça se fera petit à petit et une piste serait d’autoriser que les écoles dépassent deux étages. Si je n’ai pas proposé de mettre ces moyens dans les crèches, c’est parce que celles-ci coûtent cher aux parents et que c’est une compétence des communes.
FF: La prise en charge de la petite enfance doit en effet être notablement développée, mais ça suppose d’importants financements. Je suis abasourdie qu’en même temps vous proposiez de réduire les recettes fiscales des collectivités publiques!
Fabienne Fischer, allez-vous continuer de développer l’aéroport, qui est le poumon économique? Par ces temps de crise, est-ce le moment de mettre en péril les 11’000 emplois dépendant de l’aéroport?
FF: Genève a besoin de son aéroport, mais pas de faire fonctionner les compagnies low cost à plein régime. La vie devient vraiment impossible sous les avions; la pollution et les nuisances sonores ont d’importantes conséquences pour la santé et la partie du territoire inconstructible ne cesse de s’accroître. Il faut donc réduire les horaires tôt le matin et tard le soir. Il faut aussi investir dans le rail et en finir avec la concurrence déloyale de l’aviation, qui ne connaît pas de taxes sur le kérosène.
AH: Beaucoup d’emplois dépendent de l’aéroport, mais je comprends le problème des nuisances. On peut travailler sur les horaires, tout en comptant sur le développement d’avions toujours moins bruyants et polluants. Genève-Zurich en avion? C’est aberrant, mais Zurich est une destination de transit que Swiss veut conserver pour éviter que les clients passent par Lyon.